Hérodote : l’historien chantant de la Grèce antique

Hérodote, le « père de l'Histoire », était un conteur itinérant

Par Leo Salvatore
5 mai 2025 20:09 Mis à jour: 5 mai 2025 23:44

Certains connaissent peut-être Hérodote d’Halicarnasse comme « le premier historien du monde ». Peu savent cependant que l’homme à qui l’on attribue l’invention de l’Histoire était un barde itinérant et un talentueux conteur.

Bien qu’il ne se soit pas toujours tenu aux faits, Hérodote (484 av. J.-C. – 425 av. J.-C.) a consacré sa vie à étudier le passé avec soin, rappelant à d’innombrables générations après lui que l’histoire est importante.

Hérodote d’Halicarnasse

Halicarnasse, aujourd’hui Bodrum, se trouve dans la Turquie moderne. À la naissance d’Hérodote, l’Empire perse contrôlait cette ville grecque. La famille d’Hérodote était riche et influente, certainement plus que la moyenne des habitants d’Halicarnasse. Il était apparenté au célèbre poète épique Panyassis, qui, en 454 av. J.-C., avait mené une révolte contre le despote d’Halicarnasse.

Bien qu’Hérodote ait vécu près de 2000 ans avant la construction du château de Bodrum, la région était déjà peuplée de milliers d’habitants qui avaient baptisé leur métropole florissante Halicarnasse. (Serhio Magpie/CC BY 4.0)

Une encyclopédie byzantine du Xe siècle suggère qu’Hérodote serait rentré chez lui après plusieurs années d’exil volontaire, aurait pris la tête du soulèvement après l’exécution de Panyassis et aurait renversé le tyran. C’est le seul récit qui dépeint Hérodote comme le libérateur de sa ville. Il est plus probable qu’il ait utilisé la tyrannie comme prétexte pour quitter son foyer et voyager à travers la Méditerranée.

Hérodote était en effet un grand voyageur. Il aimait l’Égypte et s’y rendit au moins une fois lors d’un voyage diplomatique avec des Athéniens qui avaient aidé Halicarnasse à repousser une attaque navale perse. Il visita également Tyr, dans l’actuel Liban, l’une des plus anciennes villes du monde habitées sans interruption, et Babylone, patrie de l’ancien roi Hammurabi et source de l’un des premiers codes juridiques écrits.

Au cours de ses nombreux voyages, Hérodote a recueilli des milliers d’histoires. Certaines lui ont été racontées par des habitants, d’autres, il les a vécues lui-même. Bien qu’il ait finalement consigné par écrit bon nombre des histoires qu’il avait entendues, il les a d’abord fait connaître par des récits oraux. Comme pratiquement toutes les autres civilisations de l’époque, la Grèce était principalement une culture orale.

Solon, l’un des premiers législateurs démocratiques d’Athènes, composait et récitait des poèmes pour promouvoir son programme politique. Même les premiers philosophes exposaient leurs arguments sur la nature des choses dans des poèmes qu’ils récitaient souvent en public.

L’écrivain syrien antique Lucien de Samosate raconte comment Hérodote se rendait fréquemment à Corinthe, Sparte, Argos et dans de nombreuses autres villes de la péninsule grecque pour partager ses récits. Son statut dans les villes qui l’accueillaient dépendait de ses performances publiques. Hérodote devait divertir son public. Les spéculations sur les fréquentes inondations du Nil n’étaient probablement pas aussi intéressantes que la guerre, les conquêtes, les enlèvements et autres thèmes passionnants. Tout comme un artiste de rue aujourd’hui, Hérodote s’installait dans des lieux publics et prononçait des discours improvisés sur ses histoires les plus passionnantes avec suffisamment de charisme pour se forger une réputation dans toute la Grèce.

Solon était un orateur athénien renommé à son époque, comme le montre cette illustration de Paul Woodroffe datant de 1907. (Domaine public)

Mais Hérodote finit par se lasser de ses fréquents voyages. À l’âge de 37 ans, il s’installa à Athènes. Vers 440 avant J.-C., l’âge d’or athénien était à son apogée. Des hommes d’État comme Périclès renforçaient la démocratie athénienne, qui façonnait le monde, grâce à des réformes radicales. Des philosophes comme Socrate s’interrogeaient sur la vertu et la nature de la réalité, bouleversant à jamais la pensée occidentale. Parallèlement, Athènes étendait son hégémonie en Méditerranée grâce à une puissante flotte.

Avide de gloire, l’historien voyageur décida de faire une entrée remarquée aux Jeux olympiques. Selon Lucien de Samosate,
« Il attendit que le public se rassemble, composé des hommes les plus éminents de toute la Grèce ; il apparut dans la salle du temple, se présentant comme un concurrent pour un honneur olympique, et non comme un spectateur ; puis il récita ses Histoires et ensorcela son public. »

Sa performance fut si captivante qu’il devint « beaucoup plus célèbre que les vainqueurs olympiques eux-mêmes ».

Le Jeu du disque, 1875, par Edouard-Joseph Dantan. Huile sur toile ; 115 cm x 213 cm. (Domaine public)

La gloire était-elle la seule raison qui poussait Hérodote à écrire ses Histoires ? Si les performances orales suffisaient à rendre célèbre, pourquoi écrire ?

Pourquoi Hérodote a-t-il écrit l’Histoire ?

La notion moderne de l’Histoire comme recueil d’informations sur le passé n’était pas connue au Ve siècle avant J.-C. Les gens partageaient des mythes dans les temples, les théâtres et les marchés. Mais les récits anciens mettaient presque toujours en scène des personnages divins ou mythiques comme Hector et Achille. Les gens ordinaires ne faisaient pas partie de l’histoire. Leur vie quotidienne passait largement inaperçue, à moins qu’ils ne commettent un parricide, un sacrilège ou un acte tout aussi scandaleux.

Hérodote n’était pas un « historien du peuple », mais il s’intéressait davantage aux aspects banals de la vie que ses prédécesseurs et ses contemporains. Les Histoires s’ouvrent sur une déclaration d’intention :

« Afin que les traces des événements humains ne soient pas effacées par le temps et que la renommée des exploits importants et remarquables accomplis par les Grecs et les non-Grecs soit préservée ; parmi les sujets abordés figure en particulier la cause des hostilités entre les Grecs et les non-Grecs. »

Les célèbres batailles antiques entre les Grecs et les Perses sont immortalisées dans l’art et la littérature. Les Héros de Marathon, 1911, par Georges Antoine Rochegrosse. (Domaine public)

Réciter ses récits ne suffisait pas à garantir leur survie. Hérodote les a consignés par écrit afin d’empêcher le temps d’effacer « les traces des événements humains ». Alors qu’il rédigeait ses « Histoires », les cités-États grecques luttaient au sein de coalitions contre l’Empire perse, qui voulait les coloniser.

Son objectif principal était de connaître les raisons de ces conflits. Pourquoi les Grecs et les Perses sont-ils entrés en guerre ? Qui a déclenché le conflit, et comment ? Comprendre les conditions qui ont conduit à la guerre pourrait empêcher qu’elle ne se reproduise à l’avenir.

Bien qu’il fût particulièrement attiré par les généraux et les hommes d’État exceptionnels et les exploits uniques, il s’intéressait également à la classe ouvrière, aux non-Grecs, aux femmes et à d’autres groupes sous-représentés, passant des récits du passé aux descriptions des coutumes et croyances actuelles. Son raisonnement était le même : préserver autant de détails intéressants que possible sur les Grecs et les non-Grecs, afin que d’autres puissent se tourner vers le passé comme source d’inspiration, de sagesse et d’enseignement.

Mais dans quelle mesure ses récits étaient-ils fiables ?

Mythes, mensonges et propagande ?

L’orateur et homme d’État romain Cicéron fut le premier à décrire Hérodote comme « le père de l’Histoire ». Cicéron pensait que l’histoire était jugée sur « la vérité, alors que dans la poésie, c’est généralement le plaisir procuré » qui détermine sa valeur.

Bien qu’il admirât le style inventif de l’historien, Cicéron reconnaissait que ses récits étaient truffés de « récits fabuleux ». Hérodote se souciait de la vérité, mais il voulait aussi divertir son public. Pour ce faire, il parsemait volontiers ses récits de détails sensationnels.

Orphée sauve son amour Eurydice des Enfers, mais la perd une seconde fois. Orphée et Eurydice fuyant l’Enfer par Gaetano Gandolfi. (Domaine public)

Ses récits ressemblent à d’autres histoires de la mythologie grecque, comme les douze travaux d’Hercule et la tentative d’Orphée de sauver Eurydice. Hérodote parle des Argippéens, un peuple pacifiste mystérieux « dont on dit qu’ils sont tous chauves de naissance (hommes et femmes) », et d’une tribu d’« hommes à un œil » qui combattent souvent « des griffons qui gardent de l’or ».

Il décrit le légendaire phénix, connu pour sa capacité à renaître de ses cendres, comme une créature réelle, et mentionne sans scepticisme d’autres créatures tout aussi étranges. Ces anecdotes bizarres devaient être très excitantes pour un public vivant, mais elles sont très probablement fausses.

Écrivant à l’époque de la mort d’Hérodote, le comédien grec Aristophane se moquait de ce mélange particulier d’histoire et de mythe. Sa comédie Les Acharniens raconte l’histoire d’un citoyen athénien qui tente de mettre fin à la guerre en déclarant une paix privée dans sa maison. Il attribue la guerre à l’enlèvement de trois prostituées. Le ton est sarcastique, et le public aurait facilement compris la référence à Hérodote.

Dans le premier de ses neuf livres, Hérodote attribuait une série de conflits à grande échelle à l’enlèvement de femmes importantes. Ce trope était populaire dans la Grèce antique, mais il était également suffisamment absurde comme explication de la guerre pour qu’un dramaturge astucieux comme Aristophane en fasse la cible de ses plaisanteries.

Outre ses récits romancés, Hérodote était également accusé de partialité envers Athènes. Il dépeignait les Athéniens comme les champions vertueux de la liberté et de la démocratie, et les Perses comme les auteurs maléfiques de l’esclavage et de l’injustice, laissant peu de place à la nuance.

Page de titre d’une copie traduite en 1533 des Histoires d’Hérodote, à l’université Yale, New Haven, Connecticut. (Domaine public)

Ce parti pris est compréhensible, car Hérodote a été directement touché par la bellicosité des Perses. Mais cela nuit à sa crédibilité, surtout lorsqu’on lit ses récits absurdes.

La beauté des faits et de la fantaisie

Bien que les historiens considèrent aujourd’hui Hérodote comme une source fiable, ils partagent les soupçons de Cicéron et d’Aristophane. Si Hérodote enseignait dans une université moderne, il serait probablement professeur de création littéraire ou professeur de théâtre et d’art dramatique. Il ne ferait certainement pas partie du département d’histoire.

Sa méthode historique a rapidement été supplantée par celle de Thucydide, un contemporain plus jeune qui a écrit La Guerre du Péloponnèse. Thucydide s’intéressait beaucoup moins aux mythes et aux individus ordinaires. Il pensait que l’Histoire devait se concentrer sur les hommes puissants et leurs réalisations notables. Pourtant, Thucydide devait beaucoup à Hérodote, qui fut l’un des premiers à étudier le passé de manière systématique, pour le bien du présent et de la postérité.

La propagande repose sur l’art de raconter des histoires, cependant l’émerveillement et la fascination également. Même si Hérodote ne s’en tenait pas toujours aux faits, il a consacré sa vie à étudier les peuples, les lieux et les événements avec une minutie exemplaire. Son mélange original d’art de raconter des histoires et de rapports factuels fait de ses Histoires un texte fascinant et agréable à lire. Il a rappelé à d’innombrables générations l’importance de comprendre l’origine des choses et la beauté de le faire à travers les faits et la fantaisie.

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