ENTRETIEN – Aujourd’hui, le burn-out est un phénomène de plus en plus répandu dans la société française. Selon le cabinet Technologia, 12 % de la population active serait en situation d’épuisement professionnel, soit 3,2 millions de personnes. Longtemps considéré comme un sujet tabou et associé à tort au manque de résilience et à la fragilité, il est depuis quelques années de plus en plus médiatisé.
Paul-Antoine Martin est ingénieur de formation. Au cours de sa carrière, il a travaillé dans une multinationale anglo-saxonne avant de rejoindre un établissement public français en tant que cadre dirigeant. Il a récemment publié Le temps des pervers : burn-out, l’épidémie du siècle (Max Milo 2025) dans lequel il revient sur son parcours, le burn-out qui l’a frappé et analyse les causes de ce fléau.
Epoch Times : Paul-Antoine Martin, avec cet ouvrage, vous tentez d’alerter les pouvoirs publics sur ce fait de société ?
Paul-Antoine Martin : En effet, j’ai souhaité alerter les pouvoirs publics, mais aussi la population, car l’évolution exponentielle du nombre de cas de burn-out est la démonstration d’un fait de société majeur. Mon alerte porte sur deux points :
– Le saccage social à bas bruit en cours actuellement dans notre société à cause d’un management pervers et toxique. (Par définition, le burn-out trouve sa cause dans le milieu professionnel.)
– La gravité de la maladie qu’est le burn-out.
Le burn-out frappe les meilleurs employés dans le privé comme dans le public, les plus honnêtes, intègres, généreux dans leurs efforts, et loyaux. Il préserve les menteurs, les manipulateurs et les fainéants. Bref, la société élimine en silence ses meilleurs éléments et s’affaiblit d’année en année, promouvant des individus pervers et toxiques. Ce renversement de valeurs, masqué par une communication outrancière sur les « valeurs » et le « bien-être au travail », est dramatique.
Le burn-out est une maladie grave causée par un hyper-stress, couplé à une perte de sens au travail. La victime est portée à l’extrémité du stress supportable pour elle, soit par une organisation perverse, soit directement par un individus pervers, via par exemple du harcèlement. Le burn-out se manifeste par l’effondrement intérieur brutal d’une personne qui se voit emportée, sans comprendre ce qui lui arrive, dans une « dépression d’épuisement professionnelle ». Elle perd son énergie vitale et tout ou partie de sa capacité à la régénérer. Cet effondrement s’accompagne souvent d’une destruction professionnelle, sociale et familiale, plongeant les victimes dans des situations de précarité et de détresse.
Le burn-out n’est toujours pas reconnu comme maladie professionnelle. Pour quelles raisons ?
Le combat pour la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle est très difficile car il se confronte à de farouches oppositions.
Premièrement, contrairement à ce que l’on peut imaginer, les autorités au plus haut niveau ne défendent pas la cause d’un management sain et vertueux. J’en veux pour preuve la définition du burn-out donnée par le ministère du Travail sur son propre site, faisant de celui-ci la réaction d’une personne « à un stress mal géré ».
Cette définition est terrible car d’une part, elle n’associe pas le burn-out au travail et, d’autre part, elle fait de la victime son propre bourreau !
L’actualité nous a montré que bon nombre de ministres étaient accusés de harcèlement et de pratiques managériales toxiques. Il est donc peu probable qu’ils fassent du burn-out un sujet prioritaire puisqu’ils en causent. Il suffit de consulter les 30 actions décidées par les pouvoirs politiques dans le cadre de la grande cause nationale 2025, proclamée « année de la santé mentale » pour découvrir qu’aucune ne concerne des actions dans le monde professionnel. Il n’y a donc aucune volonté politique de lutter contre ce fléau majeur.
Deuxièmement, le développement exponentiel du burn-out coûte désormais extrêmement cher à la société puisqu’il n’est pas reconnu comme maladie professionnelle. On estime son coût à 15 milliards d’euros au minimum. Mais la réalité est certainement bien supérieure car le burn-out charrie avec lui de nombreuses autres maladies (infarctus, AVC, …).
Il est donc possible que le coût réel pour la collectivité soit de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Imaginez si les entreprises coupables de ces burn-out devaient assumer leurs responsabilités ! Ce serait insoutenable pour leurs finances.
Alors, on préfère ne pas voir, et culpabiliser les victimes. C’est pervers, par définition. Le problème est institutionnel. En conclusion, les politiques protègent les « burn-outeurs ».
Vous qualifiez le burn-out « d’épidémie du XXIe siècle ». Que disent les chiffres sur l’évolution des cas de burn-out ces dernières décennies ?
Cette maladie se développe de façon exponentielle année après année. On constate des augmentations alarmantes ces dernières années avec des progressions de l’ordre de 20 % par an.
Les chiffres officiels sont relativement faibles et font état de 30 à 40.000 cas par an. Les journalistes spécialisés parlent de 2,5 millions de cas par an. Les psychiatres s’accordent sur des valeurs intermédiaires de l’ordre de 500.000 cas / an.
Et entendez-vous le ministère du travail ou de la santé en parler ? Non ! C’est le black-out total. On n’en parle pas. En revanche, les psychiatres, les médecins généralistes, les avocats, etc, voient passer un nombre de plus en plus considérable de victimes de burn-out.
Tous disent que le phénomène explose. Ils alertent, mais le milieu économique ne veut pas entendre. Il est à noter que la France est un des pires pays de l’OCDE sur ce sujet. Nous sommes donc au cœur du problème, et nous préférons regarder ailleurs ou glisser le sujet sous le tapis.
Vous établissez un lien entre le néolibéralisme et ce fléau. En quoi le système néolibéral favorise-t-il le burn-out ?
Le néolibéralisme, c’est dans les faits l’absence de règles, et donc la possibilité d’un machiavélisme généralisé dans l’univers du travail autorisant tous les moyens pour atteindre son objectif. Je raconte dans mon livre que mon « burn-outeur » déclarait régulièrement avec un plaisir malsain « À la guerre, pas de prisonnier ! ». Ce genre d’individu assimile donc le lieu du travail à un champ de bataille sur lequel il se donne l’autorisation d’exécuter celui qu’il cible comme « prisonnier » de sa perversion.
Lorsque cela est posé, il n’y a plus de limites et la violence se trouve normalisée, jusqu’à devenir normative, en ce sens que les plus vicieux, les plus pervers en viennent à être valorisés par le système. L’effondrement de toute limite morale autorise le pire.
Or l’univers professionnel est une enclave dans la République. On n’y jouit pas de la liberté d’expression, ni de la liberté de mouvement, et l’obligation de loyauté (le plus souvent unilatérale) envers la direction est indiscutable. On tend même peu à peu, avec la propagande appelée « communication », à chercher à empêcher les employés de penser, ou à avoir un esprit critique. C’est ainsi que des méthodes totalitaires se développent insidieusement sans trouver aucune opposition à la perversion devenue normative.
Le néolibéralisme est la sauvagerie autorisée au sein d’un milieu professionnel dans lequel d’une part l’égalité n’existe pas et, d’autre part, un pouvoir très important est dans les mains des managers, le tout dans un contexte économique et social fortement dégradé. Mon « burn-outeur » a clairement choisi de me tuer. Et ce n’est pas une image. Il a réellement cherché à me tuer.
Pourriez-vous revenir en détails sur les « managers pervers » que vous dénoncez dans votre ouvrage ?
Les individus pervers ont des traits de comportement caractéristiques se répartissant entre le sadisme, le machiavélisme, le mensonge, la manipulation et la paranoïa. Ce cocktail devient explosif quand on met du pouvoir dans les mains de tels individus. C’est ce que peut faire l’univers du travail sans le savoir ou, aussi, en toute connaissance de cause.
Ils ont le plus souvent un rapport anormal avec la vérité. Ils pratiquent constamment le mensonge, la manipulation, l’inversion accusatoire, et n’assument jamais la moindre responsabilité. Ils sont donc très à l’aise dans un système qui accorde une place plus importante à l’efficacité qu’à la vérité. Pour eux, un mensonge qui fonctionne devient la vérité.
Ayant une capacité au sadisme et au machiavélisme, ils seront sans affects, sans scrupules, sans états d’âme, et pourront même éprouver du plaisir à observer la destruction de leur victime. Et enfin, la paranoïa dont ils sont aussi affectés diffuse autour d’eux a minima une tension, et sinon, plus couramment, une destruction des liens interpersonnels dans les groupes.
Étant de surcroît manipulateurs, ils sont des experts pour diviser les membres d’un groupe sans que ceux-ci perçoivent de qui provient tout le désordre créé. Ils sont par essence des diviseurs.
Quand le pouvoir est donné à de tels individus, la catastrophe humaine est garantie. Seul le délai avant qu’elle apparaisse est inconnu. Ces individus sont donc très dangereux. Et plus ils ont du pouvoir, plus ils sont dangereux. Enfin, ces individus aiment le pouvoir, et les milieux de pouvoir sont fascinés par ces individus. Aussi, quand on est entré dans un temps où la perversité n’a plus à se cacher parce qu’elle est normalisée, le danger est grand. C’est ce que je montre dans mon livre.
Quelles réponses pouvons-nous apporter pour lutter contre le burn-out ?
Pour lutter contre le burn-out, la première mesure est d’agir sur l’autorisation tacite donnée par les autorités à la destruction d’individus.
Premièrement, il faut donc reconnaître qu’il y a un agresseur et une victime, et non pas insinuer (voir ma réponse à la deuxième question) comme le fait le gouvernement que le burn-out est de l’entière responsabilité de la personne frappée de burn-out.
Deuxièmement, il faut pénaliser les auteurs de burn-out. Aujourd’hui, l’auteur de burn-out ne risque absolument rien. Mon « burn-outeur » a même été promu malgré les dénonciations multiples et étayées que j’ai produites, et malgré des décisions de justice ! En retour, perversion maximale, j’ai été calomnié et accusé d’être un escroc en simulant ma maladie.
Ce genre de comportement odieux est non seulement possible aujourd’hui, mais extrêmement répandu. Les pervers au travail ont l’impunité absolue les autorisant à détruire par la calomnie une seconde fois la victime qu’ils ont détruite une première fois par le burn-out. Ils appellent cela « se défendre ».
Troisièmement, il faut faire supporter le coût du burn-out aux entreprises permettant ce genre de pratique managériale perverse. Ne pas le faire, c’est légitimer ces pratiques.
Seule la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle permettra de contraindre les entreprises et commencer à casser l’impunité des managers pervers.
Les entreprises sont-elles aujourd’hui prêtes à changer leurs pratiques managériales ?
Toutes les entreprises se déclarent prêtes à changer leurs pratiques managériales, et en même temps jamais le burn-out n’a été aussi répandu. Il y a un paradoxe majeur ! En effet, changer une pratique managériale, ce n’est pas changer la couleur des couloirs, ou installer un baby-foot dans un espace commun.
Les pratiques managériales sont produites et incarnées par des individus. Autoriser des individus pervers à occuper des postes de DRH ou de DG est la garantie d’un délabrement social que l’on parviendra à masquer par une communication mensongère. Elle est souvent faite pour cela.
Dans la vie courante, quand un individu se vante d’être honnête, c’est souvent qu’il cherche à cacher le contraire de ce qu’il dit. Un système comme l’univers du travail pratiquera de la même façon : plus une entreprise met en avant des « valeurs » exceptionnelles, et plus il y a de risques qu’elle cherche à masquer des relations professionnelles difficiles.
D’ailleurs, beaucoup d’entre elles ont compris aujourd’hui que le label RSE (permettant de mesurer le niveau de responsabilité sociétale des entreprises) est un outil rêvé pour blanchir des pratiques managériales douteuses, voire toxiques. Le pervers pervertit tout.
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