Comment la France veut rattraper son retard dans la « guerre spatiale » internationale

Par Germain de Lupiac
20 mai 2025 15:48 Mis à jour: 21 mai 2025 15:33

Comme ses partenaires européens, la France a fondé sa politique spatiale sur sa dimension civile, mais Paris entend désormais rattraper son retard sur le plan militaire, dans un milieu devenu aussi stratégique que conflictuel.

L’espace est maintenant un théâtre « de manœuvres militaires, d’intimidations et même de combat » décrivait l’amiral Pierre Vandier, Commandant suprême allié Transformation (SACT), l’un des deux commandants stratégiques de l’Otan.

Début mars, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, soulignait les « vulnérabilités » militaires de l’Hexagone, citant les munitions, la guerre électronique, les drones et, et c’est la nouveauté, le spatial. « Nos compétiteurs sont en train d’acquérir des capacités de destruction et d’éblouissement de satellite », ajoutait-il.

Une perspective qui confirme que la conquête de l’espace s’éloigne aujourd’hui de ses piliers de prédilection que sont la science, le commerce et la coopération, pour aller vers le militaire.

Et la compétition internationale évolue actuellement sans cadre juridique international précis sur le spatial avec des alliances au sol qui ne sont pas celles de l’espace, l’étatique se mêlant au privé, les technologies duales – applicables au civil comme au militaire – se multipliant. « Cela peut ressembler un peu au Far West », selon le général Philippe Adam, commandant français de l’Espace.

La tâche du spatial militaire français pourrait paraître herculéenne, mais la France par son génie technique et militaire possède quelques pépites qui pourraient imposer leur empreinte dans la guerre spatiale.

La France veut booster le volet militaire de son activité dans l’espace

La France en 2019 se dotait d’une stratégie spatiale de défense doctrinale avant, l’année suivante, de transformer l’état-major de l’armée de l’Air en état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace.

« Espionnage, sabotage, pollution : les menaces sont tangibles. […] Nous devons être prêts », justifiait la ministre des Armées de l’époque, Florence Parly.

Simultanément, le Commandement spatial américain affirmait disposer de « preuves » que Moscou avait « conduit un test non-destructeur d’une arme antisatellite depuis l’espace ». L’Inde, elle, appartenait déjà au club très fermé des nations capables d’abattre un satellite avec un missile. Depuis, les choses se sont encore accélérées.

« Il y a des brouillages, des satellites d’observation qui se sont fait repeindre la rétine », décrivait récemment l’amiral Pierre Vandier, Commandant suprême allié Transformation.

Cette dynamique se cumule avec une montée en gamme du domaine dans la conduite de la guerre. « Le spatial est partout dans l’ensemble de nos processus, qu’ils soient civils ou militaires », expliquait à l’AFP le général Philippe Adam, commandant français de l’Espace.

« Cela devient un multiplicateur de capacités, au sens où on apporte des éléments de compréhension, d’éclairage et d’appui aux manœuvres des unités terrestres, maritimes ou aériennes ». Et bien sûr, du renseignement, notamment d’origine électromagnétique.

Des simulations d’attaques en temps réel

L’officier Philippe Adam supervisait en mars 2025 la cinquième édition de l’exercice annuel Aster X, créé en 2021, au Centre national d’études spatiales (CNES) à Toulouse (sud de la France).

Un « exercice de haute intensité […] en temps réel, selon un scénario géopolitique fictif inspiré des menaces actuelles et futures », selon le ministère des Armées, avec la participation de 12 partenaires étrangers et d’industriels du secteur.

Cette année, l’exercice comprend une séquence censée « approfondir la réponse nationale à certaines menaces dans une phase de compétition, puis une seconde visant « à renforcer la coopération avec les alliés dans une phase de confrontation », selon l’Hôtel de Brienne.

« Dans l’espace, vous êtes en permanence au contact de vos partenaires et de vos ennemis, ceux du moment, du passé et de l’avenir », insiste le général Adam. Mais « il n’y a rien de fixé […], ce qui nous arrange aussi un petit peu dans un cadre militaire. Pour créer la surprise, on est assez peu limités » explique le général. L’heure est donc aux investissements, massifs si possible.

Car les Européens, et la France avec eux, accusent d’importants retards sur les États-Unis, la Russie et la Chine notamment, qui ont depuis des décennies privilégié le développement militaire avant le domaine civil.

Le budget spatial militaire français atteignait 3,6 milliards d’euros en 2024, avec 16 satellites actifs, selon le site spécialisé « Armées ». À des années-lumière des États-Unis (26 milliards, 1200 satellites) et de la Chine (11 milliards, 450).  Une asymétrie budgétaire dangereuse pour l’avenir.

« L’espace est désormais un théâtre d’affrontement où se joue la résilience des infrastructures critiques, la souveraineté des communications et la supériorité informationnelle sur le champ de bataille », martèle Paul Wohrer, chercheur au Programme espace de l’Ifri.

Le spatial « en train de révolutionner l’art de la guerre », selon le CNES

« Le spatial est en train de révolutionner l’art de la guerre », a déclaré en début d’année le président du Centre national d’études spatiales, Lionel Suchet, en présentant la liste des projets du CNES pour 2025.

Lionel Suchet a énuméré une liste de projets répondant aux quatre « ambitions stratégiques » de souveraineté nationale, excellence scientifique, compétitivité économique et climat.  « Pour les conflits d’aujourd’hui déjà, et de demain, le spatial a un rôle majeur à jouer », a-t-il dit, en rappelant que le CNES gère le spatial civil et militaire.

Le lanceur Ariane-6 a ainsi positionné en février un troisième satellite de reconnaissance optique, CSO-3, pour le compte du ministère des Armées. Il y aura ensuite YODA, deux nano-satellites démonstrateurs pour « tester les capacités de manœuvre dans l’espace », et contrer le cas échéant des actions hostiles d’autres satellites.

Certaines missions auront une capacité duale comme CO3D, dont la « grappe » de satellites vise à restituer un « modèle de terrain à grande vitesse », pour des applications civiles comme militaires.

« Le spatial, c’est beaucoup de compétition, de plus en plus, mais c’est aussi de la coopération », a-t-il dit en mettant en exergue SWOT, la mission conjointe Nasa-CNES de mesure des eaux de surface sur Terre.

François Bayrou lance une mission pour une « stratégie spatiale » à horizon 2040

François Bayrou a pour cela annoncé début mars le lancement d’une mission afin d’établir d’ici juin une « stratégie spatiale nationale » devant permettre à la France de « rester une puissance de premier rang mondial » dans ce domaine à horizon 2040.

Confiée au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), cette future stratégie sera élaborée avec les ministères concernés (Armées, Industrie, Enseignement supérieur et Recherche) et « devra couvrir les dimensions civiles et militaires », précise Matignon dans un communiqué.

Le gouvernement entend ainsi réaffirmer « le statut de leader de la France », dans « un contexte géopolitique marqué par une compétition internationale accrue et des mutations profondes du secteur spatial ».

Unseenlabs, Cailabs: ces PME françaises qui percent dans le militaire spatial 

Les PME françaises Unseenlabs et Cailabs développent des technologies rares (détection de la radiofréquence de navires grâce à une constellation de satellites, communication laser grâce à ses stations au sol) dont raffolent les militaires américains et depuis peu français.

Unseenlabs qui vise 100 millions d’euros de chiffre d’affaires est « rentable depuis deux ans » tandis que Cailabs a vu ses commandes s’envoler de 223 % en 2023-2024, racontent les patrons des deux groupes, discrets sur demande de leurs clients, à l’occasion d’une visite organisée par l’AJPAE, association des journalistes de l’aérospatial.

Une initiative financée par l’Agence de l’Innovation de Défense française à hauteur de 5,5 millions d’euros a réuni les deux entreprises dans le projet Keraunos combinant l’expertise de Cailabs sur les stations au sol capables de surmonter les turbulences atmosphériques, et celle d’Unseenlabs, dont l’architecture de nano-satellites a intégré le laser dans des délais réduits.

Cette collaboration a permis de réaliser en 2024 une liaison laser stable pendant plusieurs minutes, une première mondiale dans ce domaine. Elle ouvre la voie à l’utilisation de communications laser spatiales sur des plateformes mobiles terrestres, navales et aériennes, et pourrait être intégrée dans les futurs systèmes satellitaires du ministère français des Armées.

« Pendant longtemps, quand on s’adressait au ministère de la Défense, on se disait ‘d’abord on construit un gros satellite, cher en général, et puis on utilisera ses services’. Et là, le paradigme est inversé : une entreprise construit ses satellites et puis vient vendre des services à différentes agences de défense ou autres », résumait l’ancien président du Centre national d’études spatiales (Cnes) Philippe Baptiste, nommé fin décembre ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Avec Cailabs, « on crée un écosystème français », souligne Clément Galic. « Cela ouvre une nouvelle voie permettant d’aller plus vite » avec des startup privées « capables de prendre des risques », ajoute-t-il.

Efficacité oblige, Unseenlabs, qui possède 15 satellites et en vise 20 en 2025 a recours à SpaceX d’Elon Musk pour les lancements. « SpaceX c’est fiable, accessible », lance le patron d’Unseenlabs en regrettant la « disponibilité quasi-nulle » de fusées européennes.

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