Comment la Chine instrumentalise l’ONU pour imposer sa vision des droits de l’homme

Par Germain de Lupiac
4 mai 2025 15:06 Mis à jour: 4 mai 2025 19:29

Dans un monde où les institutions internationales comme l’Organisation des Nations unies (ONU) sont censées promouvoir les droits humains et la liberté d’expression, une enquête d’envergure menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) met en lumière le détournement par le régime chinois de ces mêmes institutions pour étendre sa campagne de répression transnationale, visant à réduire au silence ses critiques et imposer sa propagande aux États.

Intitulée China Targets, cette investigation de dix mois publiée le 28 avril 2025, révèle comment Pékin déploie un nombre croissant d’organisations se faisant passer pour des ONG pour intimider et surveiller les militants défenseurs des droits de l’homme. Ces ONG, appelées GONGO, investissent les sessions du Conseil pour faire l’éloge de la Chine et présenter des compte-rendus dithyrambiques de ses actions, en contradiction totale avec les conclusions des experts et des rapports de l’ONU faisant état de violations généralisées des droits de l’homme.

Ces GONGO jouent un rôle clé dans la promotion de ce que le régime chinois appelle la « vision chinoise des droits humains », lui qui dans le monde les respecte le moins.

Une infiltration méthodique des instances onusiennes

L’ONU à Genève, souvent qualifiée de « capitale de la paix » en raison de son rôle central dans la diplomatie mondiale, est devenue un espace où le Parti communiste chinois (PCC) déploie des stratégies sophistiquées pour neutraliser toute opposition à son régime autoritaire.

Selon l’enquête China Targets de l’ICIJ, Pékin s’appuie sur un réseau d’ONG chinoises, souvent qualifiées de « GONGO » (organisations non gouvernementales dirigées par le gouvernement), pour infiltrer l’ONU et le Conseil des droits de l’homme.

Ces organisations, bien que présentées comme indépendantes, sont étroitement liées au Parti communiste chinois (PCC). L’ICIJ a découvert que plus de la moitié des 106 ONG chinoises disposant d’un statut consultatif auprès de l’ONU – un privilège qui leur permet de participer aux réunions et de soumettre des déclarations – entretiennent des liens directs avec le régime de Pékin. Depuis 2018, leur nombre a presque doublé, renforçant l’influence chinoise dans les couloirs du Palais des Nations à Genève.

Ces GONGO jouent un rôle clé dans la promotion de ce que Pékin appelle la « vision chinoise des droits humains », qui privilégie la stabilité et le développement économique au détriment des libertés individuelles. En 2023, 33 de ces ONG ont fait près de 300 interventions lors des sessions du Conseil des droits de l’homme, sans jamais formuler la moindre critique à l’égard de la Chine, selon les données recueillies par l’International Service for Human Rights (ISHR).

Leur mission, étouffer les voix dissidentes, notamment celles des défenseurs des droits humains, des activistes pro-démocratie de Hong Kong, des Ouïghours, des Tibétains et des pratiquants du mouvement spirituel Falun Gong, tous considérés comme des menaces au régime autoritaire du PCC.

Le rôle de nuisance des GONGO sur les droits de l’homme

Un rapport accablant publié par l’ancienne Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet en 2022 avait évoqué de possibles « crimes contre l’humanité » contre la minorité ouïghoure dans la région du Xinjiang, dans l’ouest de la Chine.

En 2019, le China Tribunal, un tribunal populaire indépendant basé à Londres, a établi que le régime chinois prélevait de force des organes sur des prisonniers d’opinion depuis des années « à grande échelle », les pratiquants du Falun Gong constituant la « principale source » d’organes humains.

D’autres rapports ont évoqué la séparation des enfants tibétains de leurs familles ou le harcèlement à l’encontre des défenseurs de la démocratie à Hong Kong. Mais lorsque des ONG légitimes soulèvent de tels problèmes au Conseil, les organisations pro-chinoises tentent de perturber la session, selon le consortium de journalistes d’investigation.

Lors d’un examen régulier en 2024 du bilan de la Chine en matière de droits de l’homme, auquel a assisté l’AFP, plus de la moitié des ONG chinoises qui se sont vu accorder un temps de parole étaient des organisations pro-PCC.

Citée par le rapport de l’ICIJ, Michele Taylor, ambassadrice des États-Unis au Conseil des droits de l’homme de 2022 jusqu’à janvier 2025, dénonce les efforts des autorités chinoises « pour masquer leurs propres violations des droits de l’homme et remodeler le récit ».

Les mécanismes d’influence et l’utilisation des failles de l’ONU

L’efficacité des GONGO repose sur plusieurs failles structurelles de l’ONU. Le processus d’accréditation des ONG pour le statut consultatif manque de transparence et de rigueur, permettant à des entités contrôlées par des gouvernements d’obtenir un accès aux plus hautes instances. Une fois accréditées, ces organisations opèrent avec une relative impunité, car l’ONU n’a pas de mécanisme robuste pour sanctionner les abus, comme l’intimidation d’activistes ou la diffusion de propagande.

De plus, le PCC exploite le principe de rotation des membres du Conseil des droits de l’homme pour s’assurer que des pays alliés ou dépendants économiquement soutiennent ses positions.

Les GONGO amplifient cet effet en mobilisant des délégations amies pour co-parrainer des déclarations ou bloquer des résolutions critiques. Cette stratégie a permis à Pékin d’éviter des enquêtes approfondies sur ses violations des droits humains, malgré les preuves accablantes fournies par des ONG indépendantes.

Une vision chinoise des droits humains imposée à l’échelle mondiale

Sous la direction de Xi Jinping, au pouvoir depuis 2012, la Chine a intensifié ses efforts pour remodeler le discours mondial sur les droits humains. L’enquête China Targets montre comment Pékin utilise son influence pour promouvoir une idéologie qui rejette les critiques des violations des droits humains comme des ingérences dans ses affaires intérieures.

Les GONGO chinoises, en intervenant systématiquement dans les sessions du Conseil des droits de l’homme, vantent les mérites des politiques chinoises, comme la « lutte contre le terrorisme » dans le Xinjiang, tout en dénonçant les « forces anti-chinoises occidentales ».

Cette rhétorique vise à légitimer la répression des minorités ethniques et des dissidents, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières chinoises.

Une réponse internationale insuffisante

L’enquête souligne également la faiblesse des réponses des démocraties face à cette instrumentalisation de l’ONU. Alors que des pays comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni accueillent de nombreux dissidents chinois en exil, leurs gouvernements peinent à contrer efficacement la répression transnationale.

À Genève, les autorités suisses, bien que conscientes des activités d’espionnage et d’intimidation, n’ont pas pris de mesures significatives pour protéger les activistes.

L’ONU elle-même, en tant qu’institution, semble démunie. Malgré les appels à réformer ses mécanismes pour limiter l’influence des États autoritaires, les progrès sont limités. L’absence de transparence dans les processus des Nations Unies, notamment dans la gestion des statuts consultatifs des ONG, facilite l’exploitation par des régimes comme celui de Pékin.

De plus, l’ONU n’a pas mis en place de mécanisme robuste pour protéger les activistes contre les intimidations dans ses propres locaux.

L’avenir de la gouvernance mondiale en question

La mainmise croissante du régime chinois sur les institutions internationales comme l’ONU soulève des questions fondamentales sur l’avenir de la gouvernance mondiale.

Si une puissance autoritaire peut transformer un espace dédié à la défense des droits humains en un outil de répression, quel espoir reste-t-il pour les dissidents et les minorités persécutées ?

L’enquête China Targets met en garde contre une normalisation de la répression transnationale, où les gouvernements autoritaires, inspirés par le modèle chinois, pourraient multiplier ces pratiques.

Parmi les recommandations figurent la réforme des critères d’accréditation des ONG à l’ONU, une surveillance accrue des activités des délégations chinoises à Genève et des sanctions contre les individus ou entités impliqués dans l’intimidation. Les démocraties doivent également renforcer leurs cadres juridiques pour protéger les dissidents en exil.

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